Chapitre 8
Année 1981 - 2ème partie

Les prestations de notre amie Martine, ne seront pas passées inaperçues et la Presse surtout, n'a pas manqué de lui consacrer de nombreuses chroniques de plus en plus élogieuses. Ce qui a contribué largement à la faire mieux connaître du grand public et surtout des profanes, car pour ce qui est des initiés eux, ils l'ont adoptée et il faut avoir entendu les cris et les ovations du public ostendais lorsqu'elle est en tête dans la ligne droite juste après la petite grimpette Bagatelle, pour se rendre compte de son degré de popularité.

Nous n'avons pas relevé dans le détail toutes les victoires de cette année 1981, mais si je vous dis qu'en cette seule année, elle a monté 432 chevaux pour remporter 45 victoires et de nombreuses deuxièmes et troisièmes places, qui la situent au 7ème rang parmi tous les professionnels masculins, ce qui représentent une moyenne de 33% de réussite.

Un très grand bravo ! Et d'autant plus, si l'on considère le nombre de chevaux de 42 à 45 Kg, qu'elle monte et dont la plupart sont condamnés d'avance à ne faire que de la figuration.

Mais le 19 novembre 1981, Martine participait à un Quarté important, où elle montait Dominus, ce brave cheval dont les résultats l'ont profondément marquée et pour nous mettre dans la véritable ambiance de cette manifestation, nous avons repris des extraits lui consacrés par le journal spécialisé "Turf Magazine", dont Martine était l'invitée et la suite résume assez bien tout ce que ces professionnels pensent d'elle.

Turf Magazine - Sterrebeek 19/11/1981 - Quarté:
Notre invitée Martine Desmet nous parlera de Dominus. Nous, nous vous parlerons d'elle.
Est-il encore utile de vous parler de Martine Desmet, quasi inconnue de "Monsieur tout le Monde" il y a à peine trois ans.

Elle est devenue actuellement un "personnage public" et peut être même le jockey le mieux connu de tous ceux qui chaque semaine, rentre un bulletin de tiercé ou de quarté.
La grande Presse quotidienne lui a réservé une page entière et tout un reportage de l'hebdomadaire Le Soir Illustré. La télévision n'a pas hésité à lui consacrer un quart d'heure (et réflexion personnelle, c'est certes là un événement Unique, quand on pense au peu d'attention que notre Télévision Nationale manifeste à la grande masse des individus intéressés par le cheval et tout ce qui y touche).

Chacun a maintenant l'impression de connaître Martine comme une amie de longue date.
Normal, nous direz-vous, car Martine Desmet fut la première femme belge à recevoir une licence de Jockey professionnel.
Et plus normal encore, nous dirons-nous, car une femme qui sort un peu de l'ordinaire quotidien et des entiers battus, attire toujours sur elle une certaine publicité.

Tout cela est bien vrai, mais croyez-vous que l'énorme publicité et la grande popularité dont jouit aujourd'hui Martine Desmet auprès de tous ceux qui de près ou de loin s'intéressent aux courses serait encore ce qu'elle est actuellement, si elle n'avait pas obtenu des résultats très extraordinaires dès le début.

Oui, on peut réellement parler de résultats probants, quand on constate que cette année, Martine sera en septième position des jockeys belges qui sont 120 et qu'avec un total de 45 victoires, elle a largement dépassé son score de l'an dernier, celui de sa première année de jockey professionnel.

Nous ne reprendrons pas ici le récit de toutes les péripéties rencontrées pour l'obtention de la licence dont nos amis de Tiercé Magazine, reprennent en détail ce que nous avons déjà écrit avant.
La répétition pouvant engendrer l'ennui, jai crû bon de ne pas tomber dans le piège. danger

Et c'est Turf Magazine, qui pose à Martine la question:
au début de la saison passée, vous avez commencé à monter avec les Freddy Barrix, Tommy Young et autre Gilbert Muyldermans, cela ne vous a t'il pas causé des problèmes de cohabitation et d'intégration dans le milieu?
Martine: j'avais l'avantage d'être déjà connue dans le monde des courses, vu que je montais en amateur depuis longtemps, mais j'avous que ce ne fût pas toujours rose au début.
Pendant quelques temps, on m'a regardé un peu "de travers", et certains n'ont pas toujours accepté ma présence de gaieté de coeur.

Actuellement, je n'ai plus de problemes et j'ai été complètement adoptée. Ce qui d'ailleurs ne surprend personne.
En effet, Martine n'était pas là pour jouer à la suffragette, ni pour se faire remarquer ou faire parler d'elle, mais surtout et uniquement pour exercer le métier qu'elle avait pû enfin choisir librement ! Et surtout pour l'exercer du mieux qu'elle pouvait. Et l'on s'est très vite rendu compte qu'en plus du courage, elle possédait aussi du talent et une énorme volonté de réussir.
Celà, tous les jockeys l'ont vite compris et tous les problèmes se sont automatiquement dissipés, et très normalement Martine a sû se faire une place au soleil !

Mais, dans le beau quarté du 19 novembre 1981, l'un des derniers de l'année, Martine montait ce bon Dominusn° 4, un cheval qu'elle aime beaucoup, comme elle nous le dit elle-même:
Martine: il ne m'a jamais déçu, c'est un très bon cheval. Cette année, nous avons gagné et après terminé deuxième d'un très beau Tiercé à Ostende et nous avons gagné en Septembre le Grand Prix Baillet - Latour à Groenendael.
C'est un très bon cheval et je ne le dirai jamais assez. Courageux et volontaire. Il l'a encore prouvé la dernière fois dans le Tiercé Prix du Roy de Blicquy à Sterrebeek, quand le très bon Royal Dartnous remontait sur le fil pour la deuxième place.

Celà a de quoi vous donner confiance pour le quarté et je suppose que vous y croyez ?
Martine: oui, mais avec une petite réserve, car ce jour là, il a eu une course, assez difficile. La distance était un peu courte pour lui et il n'a jamais eu le temps de souffler une seule fois.
J'espère qu'il ne s'en ressentira pas, mais Claude D'Haese, l'entraîneur m'a quand même dit que ce brave Dominus, semblait passer de forme.
Il n'empêche qu'il a de la Classe et que j'espère une place, d'autant plus que la distance de 2.400 mètres lui permettra de faire parler son excellent train.

Merci beaucoup de votre gentillesse, mais nous aimerions que vous nous donniez votre pronostic pour ce quarté.
Martine: très volontiers, d'autant plus que, comme à mon habitude, j'ai bien étudié les chances de chacun des participants de cette épreuve.

mais pour satisfaire une curiosité bien légitime, je vous donnerai tout d'abord l'analyse des chances de Dominus par le spécialiste de Turf Magazine:
sa dernière victoire:Septembre - Groenendael - 2.100 mètres - terrain ferme.
le handicapeur: je l'élimine
le parcours: c'est trop long pour lui
l'entraîneur: Dominus a bien prouvé sa forme. Cheval très courageux. Il participe allègrement et est très souvent animateur. Il n'a que la distance contre lui; l'entraîneur Claude D'Haesey croit modérément.
pour: cheval très régulier
contre: la distance

Et comme rien n'est jamais tout à fait vrai dans les considérations les plus sophistiquées des professionnels avant la course, nous vous donnons ci-après le résultat du quarté:

  1. Grimpeuse n° 1
  2. Royal Dart n° 5
  3. Dominus n° 4
  4. Interiors n° 8

Comme à son habitude, ce bon Dominus a assuré un train très rapide dès le départ, pour se faire dépasser sur la fin par Royal Dart d'abord puis par le n° 1 Grimpeuse, qui se jouant du poids, finissait en bolide pour l'emporter de peu !

Et en conclusion de cette course:
consultez donc les pronostics de Martine. Tout le monde est bien d'accord. Elle a aussi des dispositions dans ce domaine !!

Samedi 20/11/81 - Le Wagram de Martine Desmet -
Wagram, ce nom qui rappelle une des plus prestigieuses victoire de Napoléon... inspira sans doute notre femme jockey de l'Elite, car montant ce magnifique bai au nom historique, on admira la façon dont elle prit le sillage de la grandissime favorite Hanette, pour déborder celle-ci en surgissant à la distance. Elle démontra encore une fois, si besoin était encore, de toute l'étendue de son savoir... monter.
C'était sa 45ème victoire sur 430 montes. Fanal

Parmi toutes les belles victoires remportées par Martine en 1981, j'ai conservé bien intact le souvenir de Trois victoires de Fanal en quinze jours !!
Ah ! ce Fanal, un brave cheval qui avait failli être sacrifié à la boucherie, mais qui avait été ressuscité par Jean Herbillon, un homme de coeur, qui vît avec ses chevaux, et qui les aime tout particulièrement. Il a aussi une très grande confiance en Martine dont il admire le cran et les mêmes dons que les siens.
Vous le voyez sur la photo ci-contre avec Fanal et il a bien droit en cette relation qui se veut historique à une place pour lui seul !
Sa réputation de sorcier et de "réparateur des affligés" avait poussé Jean Herbillon à s'occuper de ce brave Fanal qui avait uniquement le don d'être ce qu'on appelle familièrement un "Nageur" et de ne se débrouiller passablement que dans les plus infects des bourbiers. Fanal1

Après l'avoir pris en mains, il le confie à Martine qui le monte à 46 Kg, terrain souple... et c'est une première victoire.
Cinq jours plus tard et le handicapeur ne l'ayant pas perdu de vue, Martine l'amène de nouveau à la victoire, bien qu'il portat cette fois 32 Kg et huit jours plus tard, mais cette fois gratifié de 58 Kg (soit plus 12 Kg en quinze jours) une troisième victoire pour Fanal bien monté par son jockey vedette.

Victoires très précieuses et convaincantes pour des gens qui travaillent en prime: Pour l'amour du Cheval !
Martine Desmet et Jean Herbillon, une bien belle équipe.

Rien d'étonnant à celà, car et surtout pour les initiés des champs de courses et de leurs coulisses, Jean Herbillon à la bonne réputation d'en connaître un brin sur le cheval !

Il a passé par tous les stades de la profession, garçon d'écurie, lad, jockey (il monte à 50 Kg), propriétaire, entraîneur, et, personnellement je le soupçonne même d'être un peu sorcier sur les bords.
Toujours le coeur sur la main... avec la réserve que cet organe peut parfois se trouver sur la langue, ce qui fait que, l'injustice le hérisse et qu'il ose dire tout haut, ce que d'autres pensent à peine tout bas. Celà lui a d'ailleurs valu des heurts parfois violents avec certains reponsables obtus des Fédérations.
On l'a vu claquer la porte et jurer ses grands dieux qu'on ne l'y reprendrait plus, pour ressurgir après un temps de réflexion et toujours: par amour du cheval ! Poursalt

Des types que l'on croit uniques et pourtant lorsque je pense à lui, il me revient à l'esprit un petit bonhomme que j'ai connu dans ma vie professionnelle alors que j'étais comptable dans une importante Criée aux fruits établie face à la gare de Warsage, à moins d'un kilomètre des Fourons, ce qui situe bien l'endroit pour les non initiés.
Il était originaire de la Campine anversoise, se prénommait Cyrille et baragouinait en français approximatif, agrémenté de mots wallons ou d'expressions rocailleuses anversoises.
Rien de commun avec les chevaux lui, mais de par son esprit débrouillard, chaque fois que je vois ou je pense à Jean Herbillon, c'est toujours vers ce Cyrille que vont mes pensées, et je reste persuadé qu'à eux deux, ils auraient accompli de grandes choses, même chez les chevaux.

En réalité, il était mécanicien, mais sincèrement je ne crois pas qu'il existait un seul métier dont il se sentait incapable de le pratiquer. Il réparait tout, mais vraiment tout et s'il ne trouvait pas le boulon adhéquat, il le remplaçait par un bout de fil de fer et ça marchait.
On lui confiait une vieille horloge en pièces détachées, le tout se chevauchait dans une caisse, et dans un délai de deux ou trois jours, il vous ramenait l'objet fonctionnant à merveille, même s'il y avait une ou deux pièces en trop !! Quel phénomène !!

Mais il faut que je vous compte par le détail, une anecdote toute particulière qui a bien marqué mes relations professionnelles avec lui !!
Chargé de l'accompagner pour enlever cinq tonnes de raisins à Overyse, le tout destiné au marché public de Liège, nous sommes partis, lui au volant d'un camion muni d'un superbe gazogène, on était en 1942 et vu les réquisitions de carburant par les autorités occupantes, vous avez compris. Ce gazogène faisait la grande fierté du patron pour deux raisons: il était unique en son genre et avait coûté la valeur du camion avec un filtre très sophistiqué.
Voyage aller sans problèmes ! St Bernard
Retour vers 14 heures pour arriver à l'heure au marché. Entre Tirlemont et St Trond, dans un bled innomable, juste en face d'une scierie et d'un bistrot, le camion s'arrête pile. Le gazogène n'en veut plus. Je suis un peu affolé devant la responsabilité du chargement, et je ne jurerai pas qu'à ce moment précis, je n'ai pas pensé à ce bon Samaritain dont photo ci-contre et qui doit avoir sauvé tant de vie.

Cyrille lui, reste d'un calme Olympien et je l'entends encore me dire avec son accent rocailleux et inimitable: va prendre un verre au bistrot et laisse-moi me concentrer pour réfléchir !!
Il a complètement démonté le fameux filtre et je puis vous jurer que ce n'était pas rien et je croyais bien à la mort sans phrase de cet engin si sophistiqué qu'il fût.
Et bien non, car Cyrille avait réfléchi et en plus, il avait trouvé. Entrant dans la scierie en face, il y préleva deux énormes sacs de copeaux de bois, qu'il s'ingénia à disposer dans la cuve du gazogène en lieu et place du filtre ruineux.
Il remit en marche... miracle ! Le gazogène reprit vie. Celà avait duré quatre heures, mais celà marchait.

Pressés par le temps, nous sommes repartis à toute vitesse et tellement vite qu'à l'entrée de St Trond, nous sommes arrêtés par la Feld Gendarmerie allemande et nous sommes gratifiés d'une contravention... pour excès de vitesse, un comble quand on sait qu'avant le miracle ce camion atteignait péniblement 60 km à l'heure.

Et sept heures après notre départ, nous sommes arrivés au marché où tout le monde nous attendait, craignant le pire et je vous laisse deviner l'ovation, un peu dans le style lorsque l'on marque un but à Standard - Anderlecht.
Bravo Cyrille ! Le roi des débrouillards et quand il m'arrive de parler de Jean Herbillon, c'est toujours son image que je me remémor et je me demande même si le Second n'est pas la réincarnation de l'autre. Et en y réfléchissant bien, je ne sais pour lequel des deux la comparaison est la plus honorable.

Toutes mes excuses aux lecteurs pour cette petite digression extra-hippique, mais il y a dans la vie des faits qui vous situent un homme autrement mieux que les mots.

Après deux années de monte en tant que "Jockey professionnel", elle compte 78 victoires pour environ 800 montes, soit à peu de choses près une victoire par dix montes.
Il convient pourtant de préciser que, montant sous les 46 Kg, elle est souvent retenue par des propriétaires aux moyens modestes, qui placent tous leurs espoirs dans la compétence de notre souriante vedette féminine.

Elle fait chaque fois plus que son possible, mais on ne peut quand même pas lui demander de porter le cheval jusqu'au poteau, elle est un peu petite pour celà !


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