Chapitre 5
Jockey professionnel ! Enfin !

Etre jockey! Et à l'aube de son nouveau genre de vie, je ne me laisserai pas aller à un lyrisme de mauvais aloi et qui apparaîtrait un peu mièvre en compagnie des gens qui pratiquent ce dur métier, parfois dangereux, mais tellement beau dès que la victoire vous sourit.

Et Martine, innovatrice menue dans tout ce monde masculin, dont pourtant la majorité ne sont pas beaucoup plus grands qu'elle ne me contradira pas, car, si ell a aspiré à ce rôle qu'elle a voulu de toutes ses forces de gagneuse, elle sait très bien ce qui l'attend, et comme je crois bien la connaître, et malgré son grand coeur, elle n'est pas prête à la sensiblerie.
Elle sait aussi très bien que celà n'a pas sa place ici, où chacun se bat et parfois avec acharnement, pour soi d'abord et presque toujours contre les autres.

Le métier de jockey n'est pas une sinécure et comme tout ceci et ce qui va suivre n'intéressera probablement jamais que des avertis. Je ne vous ferai pas l'affront de croire que vous n'en savez rien.
Quand, de plein gré, et en pleine connaissance de cause, on a choisi ce métier très exigeant, on doit être conscient de ses avantages et de ses inconvénients. Quitte à gommer ces derniers, si l'on y a découvert la joie de vivre et de participer, et l'exaltation de la victoire ou l'espoir de la décrocher un jour et la satisfaction d'une réussite complète telle que l'on se l'est imaginée.

Oh! Oui! Il est bien beau le métier de jockey, surtout si on le voit en priorité du côté "Face".
Si l'on ne pense qu'à cette ambiance très spéciale que l'on ne rencontre que dans les hippodromes, si l'on envisage avec un petit pincement au coeur la fierté de se voir épier et admirer par des centaines d'yeux avides ou intéressés dès que l'on sort des vestiaires pour se rendre vers le pesage et que l'on enfourche cette monture altière et piaffante qui semble vous attendre pour collaborer avec elle à quelque chose de grand et de valable!
Oui! Tout celà est très beau!

Qu'est-ce que celà peut bien faire de gagner?
C'est tout bête, celà fait très, très plaisir... un plaisir fou!... immense...! incontrôlable.
L'extase pour soi et pour les autres!
Parce qu'on y pense tout de suite aux autres, à vos parents, à vos amis, au cheval et surtout à tous ceux qui vous ont fait confiance, envers et contre tout.

Je crois bien que Martine, comme presque tous les autres, a ressenti pleinement et dès la première monte, cet instant captivant où l'on sait que l'on emporte les espoirs d'une très grande partie de cette foule avide d'émotions fortes.
Et j'en connais beaucoup qui à ce moment sont envahis par un trac fou... une espèce de boule dans la gorge ... un sifflement entre les côtes qui n'a rien à voir avec la tension habituelle de la compétition, fait d'un mélange de concentration et de désir de vaincre... cette peur qui hante aussi les plus grands acteurs de théâtre et qui paraît-il, est l'expression même du talent. C. Asmussen A. Gibert

Les plus matamores se comparent eux au toréador dans son habit de lumière, et, si l'on veut bien aller au fond des choses, ce n'est pas tellement éloigné de la réalité.
Et le fait de se retrouver dans les mêmes pelotons que Tommy Young, Freddy Barrix ou Gilbert Muyldermans et que l'on envisage qu'avec un peu de recul, que ceux-là pourraient être remplacés par Freddy Head, Alfred Gibert ou le Cash Asmussen dont la renommée a franchi toutes les frontières du monde, cela doit bien stresser les débutants et provoquer en plus un très drôle de Tic-Tac dans leur poitrine.

Ont-ils peur? Je crois bien que oui! , car s'ils se voient un seul instant, avec leur 45 à 50 Kg, lancés à fond de train sur un animal dont le poids est de plus de dix ou douze fois supérieur, il est certain que celà doit représenter un sensible péril en l'occurrence.
Tous ceux qui croient qu'il est de bon ton de nier l'évidence de cette peur, pour se situer parmi les "durs", qu'ils me permettent de leur rappeler les paroles d'un très grand sportif, qui pendant toute sa carrière risqua tant de fois sa vie pour la gloire de ce qu'il aimait, en l'occurrence ce grand pilote de Jacky Ickx à qui l'on posait un jour cette question, répondit à son interlocuteur: Mais mon cher Monsieur, si de toute ma vie je n'avais jamais eu peur, je ne serais probablement pas ici pour vous répondre. Belle leçon de modestie à méditer pour les fanfarons.

Et ces rumeurs de foule... rumeurs profondes d'abord, qui montent et qui se gonflent au fur et à mesure où le peloton se rapproche de la ligne d'arrivée, les cris de joie ou de déception et, pour le jockey, la ligne franchie, comme un grand calme avec au coeur la joie de la victoire et comme une lassitude pour les battus et dont ce calme n'est pas une renonciation en soi, mais plustôt une volonté ferme d'inverser le résultat dès la prochaîne retrouvaille et de ressentir eux-mêmes ce beau moment d'exaltation intérieure qui vous met le coeur à l'envers.
Et pour le vainqueur, il ne doit y avoir rien de plus beau que de se retrouver aux balances, dans le rond des gagnants, sous de nouveaux regards admiratifs ou courroucés et de recevoir des congratulations sincères pour les uns, et peut-être bien un peu forcées pour les autres.
C'est à ce moment précis que l'on entrevoit le prestige de la victoire auprès des propriétaires; et la confiance que celà leur inspire pour se voir confier de nouvelles montes vers le succès.

Et dire que je m'étais promis de ne pas trop pencher vers le lyrisme, mais je reste persuadé que Martine, qui doit avoir vécu tout celà me pardonnera ce style un peu ampoulé, destiné à replonger dans le rêve, tout ce qu'elle a pû ressentir à ces moments très cruciaux de sa carrière.

Mais tout celà, c'est aussi le côté face de la médaille, le côté pile étant parfois bien moins réjouissant et beaucoup plus terre à terre, d'autant plus qu'il comporte des tas de contraintes et que tous ceux qui n'ont pas l'intention de s'y plier, ne font pas un très long chemin dans la profession.
Et pourtant! Et le tout premier des aléas se précise déjà dans la course elle même et, quel que soit le talent du jockey, il n'échappe jamais tout à fait à l'ensemble des circonstances qui président à ce genre de manifestation.

Il importe naturellement pour viser la victoire de se placer avantageusement dans le peloton et rien que celà constitue un exercice des plus périlleux, d'autant plus que la bonne place que vous cherchez, tous les autres vous emboitent le pas et pour les mêmes raisons.
Les chevaux, les étriers, les bottes des jockeys, tout celà se frôle continuellement et rien que celà a déjà dû influencer bien des débutants et d'une bien singulière façon. Et l'on voit parfois certains concurrents se faire serrer par les voisins immédiats et donner l'impression qu'ils sont soulevés de terre et que la chute ne peut être évitée que par miracle.

Neuf fois sur dix, ce genre d'aventures se soldent par des chutes, dont les conséquences peuvent se révéler très graves, étant donné le caractère très compact des pelotons.
Les autres chevaux sont dans l'impossibilité totale d'éviter le cavalier qui est à terre, à moins de tomber eux-mêmes. On peut alors aisément s'imaginer l'état du jockey sur lequel sont passés plusieurs chevaux au grand galop! En général celà se termine à l'hopital ... ou pire.

Tenter de définir à des profanes tous les autres aléas du métier de jockey, c'est risquer de se trouver devant des auditeurs incrédules, le visage orné d'un petit sourire dubitatif.
Il est même possible qu'un peu de retenue les empêche de poser la question rituelle: dans ces conditions, pourquoi le faîtes vous?
A question simple, réponse simple!
Avez-vous déjà demandé aux aviateurs pourquoi ils volent, aux pompiers pourquoi ils éteignent les incendies et d'autres... et d'autres, chacun allant vers son destin... et les dangers sont partout, même où l'on s'y attend le moins!
Le métier de jockey! Rien que par l'examen physique qu'ils doivent s'imposer pour se maintenir en forme optimale, celà ferait reculer beaucoup de monde et même parmi les plus costauds. Vous savez, ceux qui toisent parfois ces petis hommes avec un tout petit air de condescendance assez méprisable.

Si l'on veut aller jusqu'au bout de l'effort réclamé, il est bon d'avoir des nerfs d'acier et des muscles en conséquence, et à ceux qui continuent à douter, ne leur conseillez surtout pas de monter l'un de ces pur-sang au galop, car l'expérience pourrait bien leur être fatale; pour eux d'abord et surtout pour les voisins de lutte.

Et la condition physique nest pas tout! Il y a aussi le maintien d'un poids plume minimum et les rigueurs alimentaires que celà entraîne automatiquement.
Plus de gueuletons en perspective, ni de sorties avec les amis, sous peine de se voir condamné au sauna quotidien ou aux produits amaigrissants, qui saperont automatiquement sa condition physique, qu'il a été tellement malaisé de maintenir. Un cercle vicieux en somme!

Je n'ai jamaid personnellement procédé à aucune investigation vis à vis de la majorité d'entre eux pour m'assurer s'ils respectent strictement les consignes si draconniennes, amis mon expérience m'a appris que ceux qui trichent dans ce domaine ne font pas long feu dans la profession et que pour la plupart n'ayant rien appris d'autre, je vous laisse deviner ce qui s'en suit, mais comme c'est de Martine qu'il s'agit plus particulièrement et que je la connais bien, je m'en vais vous faire la description minutieuse de l'une de ses journées et qu'n vous aurez bien lû, je m'attends à ce que vous me disiez ce que vous en pensez ou si c'est le rôle que vous destinez à vous même ou aà un être cher!

Levée tous les jours vers quatre heures du matin, et après avoir pris le temps minimum d'avaler une tasse de café en quatrième vitesse, elle file vers le champ de courses, en ne respectant peut être même pas les limitations de vitesse à cette heure réputée creuse!

Pendant une bonne heure, elle soigne les chevaux et nettoie les boxes, car la propreté en ce domaine et comme en tout ailleurs constitue une bonne base de succès.
Quand vous arrivez au bureau, quatre heures plus tard, les femmes d'ouvrage ont fait la même chose pour vous.

Alors, et dans la pénombre du petit matin, elle entraine des bêtes calmes ou nerveuses, suivant le faitque, elles aussi sont très heureuses ou pas du tout d'avoir été tirées de leur sommeil et parfois brusquement.
Pour elle, c'est le moment le plus intense de la journée et c'est surtout de là que se construit cette espèce de connivence entre le cheval et le jockey. Car il s'avère que le cheval n'est peut-être pas l'animal le plus intelligent comme beaucoup le croient, il est par contre établi avec certitude, qu'il possède une mémoire en dehors du commun, et qu'il sait diantrment s'en servir.

A peu près sans s'en rendre compte celà représente un entrainement sportif quotidien de quatre à cinq heures de monte, réparties le matin et l'après-midi suivant les jours de courses, car il lui arrive de disputer quatre ou cinq courses et vous comprendrez facilement pourquoi elle ressent parfois comme un petit coup de pompe vers les huit heures du soir. Et qui le lui reprocherait, après une journée si bien remplie.

Et pourtant, elle possède un avantage certain dans le domaine du maintien du poids de compétition, car elle pèse normalement 43 Kg et que son régime alimentaire se compose généralement de viande grillée, de légumes verts, le tout arrosé d'une bonne eau de source.
Les tout-petits extra qu'elle pourrait se permettre à de rares occasions, s'éliminent de la façon la plus naturelle.

Toutes ces contraintes ne sont naturellement pas à la portée des "sans volonté", car on doit aussi tenir compte que celà se renouvelle tous les jours et même surtout le dimanche.
Pire qu'un saccerdoce. il faut courir ... courir encore, et toujours, courir. Une belle leçon de courage, de volonté, de sang froid et de lutte pour la vie... "Struggle for live" disent les anglais, qui en connaissent un bout sur la question.
Et rien ne dit qu'en s'astreignant à ce dur métier, le côté pile de la profession on trouve chaque fois la réussite au bout de ses peines, car il existe encore d'autres critères qui influent sur la suite de la carrière... et c'est surtout ici qu'il faut battre le fer pendant qu'il est chaud et profiter des bons moments, car il faut aussi tenir qu'à un tel régime la carrière est normalement raccourcie.

Je ne vous ai pas encore parlé de l'ambiance des coulisses de la profession, de l'attitude de tous ceux qui gravitent autour de ce métier.

Quand une femme jockey s'intègre dans une profession jusque là réservée aux hommes, il faut bien se mettre dans l'ambiance. Les jockeys établis, même en n'étant pas mysogines, donnent l'impression d'accueillir une consoeur dans le rang très fermé des pros avec la plus grande courtoisie.
Mais ne vous y fiez pas, intérieurement ils ne sont pas tous de cet avis. Et il y en a même qui ne se gènent pas pour vous faire sentir que vous êtes de trop, surtout et si, en plus vous commencez à gangner, celà représentant dans leur esprit tout un décompte de montes perdues et de manque à gagner.

Mais la logique veut pourtant que dans ce domaine, Martine, n'a pas eu trop à se plaindre, car elle n'était pas vraiment une inconnue et les victoires qu'elle avait remportées pendant plus de quinze ans chez les amateurs, avaient fini par lui valoir la sympathie de tous, et je dirai même que c'est avec un franc sourire dans l'oeil et la chaleur d'une pognée de main sincère qu'ils ont salué ce passage de l'amateurisme au professionnalisme intégral.
Et c'est bien mieux ainsi! car, et j'y reviendrai par la suite et au cours des temps, d'autres consoeurs n'ont pas eu cette chance et on eu à se plaindre et même à subir des rigueurs tant morales que physiques. Mais celà aussi est dans la logique des choses, car l'amitié ou une simple cohabitation pacifique, s'effacent dès que se manifeste l'intérêt ou la concurrence... et l'homme, tel qu'il est, restera toujours un loup pour l'homme, et ce n'est pas l'arrivée de cette femme qui y changera rien. Bis repetita!

Pour les entraineurs et les propriétaires, les mêmes conditions se trouvaient réunies pour elle, sauf que dès le début, et même par la suite, elle risquait de ne se voir confier que des "petits poids" ou autrement dit ces animaux dont une certaine catégorie d'hommes optimistes, appelés "handicapeurs" espère théoriquement amener à la hauteur des cracks rien que par le biais de la réduction de la charge, mais cela restera toujours de la théorie et ces "laissés pour compte" doivent être énergiquement "secoués" pour être à même de profiter de cet "avantage".
Mais dans la réalité, ils restent lre plus souvent quand même dans l'anonymat le plus strict, et, côté positif de l'histoire, j'ai bien l'impression que c'est avec eux que Marine a appris à lutter avec le sourire même en sachant qu'elle ne monte qu'un "tocard" et qu'elle se bat parfois pour rien. Flower Music

Vous devez peut-être bien vous figurer que pour se plier à de telles contraintes, les intéressés doivent rouler sur l'or... habiter des palaces devant lesquels stationnent des bagnoles toutes rutilantes de rêve! Déchantez! Braves gens! Il ne faut pas rêver et c'est fort loin d'être celà. Si l'on prend l'exemple de la France ou de l'Angleterre, où les courses sont très nettement mieux dotées que chez nous et où les grandes écuries jonglent avec les millions, il doit certes exister des spécimen du genre tels Yves St Mrtin, Freddy Head,Lester Piggott, Cash Assmusen,Willy Carsonou Pat Eddery qui doivent se taper des gains de l'ordre de plusieurs millions par an.
Ils forment une exeption et je vous dirai même que des très connus de l'époque comme Maurice Philipperon, Alfred Gilbert, Alain Lekeux, Guy Guignard, Gary Moore ouWalter Swinburn arrivaient à peine à la moitié du chiffre de ceux là.
Cela nous donne une dizaine de privilégiés sur plus de deux mille sans grade. Celà paraît énorme et je ne connais pas beaucoup de professions où l'élitisme est si réduit. Celà relève de statistiques de la presse spécialisée de ces pays. By my Best

Mais si nous retombons chez nous, ces chiffres doivent laisser rêveurs les meilleurs de nos jockeys .
Nous ne possédons pas et de loin, les mêmes moyens que nos voisins et nous avons en fait de grandes écuries, deux ou trois centres d'entrainement qui sortent un peu de l'ordinaire.
Et bien heureux sont les quelques jockeys qui montent pour ces entrainements qui font la loi sur nos hippodromes, mais qui les laissent encore malgré tout bien loin des montants de rêve évoqués pour les jockeys français et anglais.

Pour la majorité des autres, il faut pratiquement compter sur les allocations de monte perdant ou gagnant (environ 1.250 francs belges) auxquelles on doit d'ajouter un pourcentage sur les gains (+/- 10%). Mais pour toucher cette prime, il faut se trouver à l'arrivée et il y a lieu de tenir compte qu'il n'y a que six ou sept courses par jour.
Les moins favorisés touchent à peine le salaire minimum garanti.
En somme quelques petits seigneurs pour beaucoup de sans grade. Mais voilà, c'est un sacerdoce comme je vous l'ai déjà dit!
Et allez donc savoir pourquoi ils continuent! Et celà fait penser à la brave femme de la fable .... Et s'il me plait à moi d'être battue!


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