Chapitre 4 (2 ème partie)
De la vie intense d'une femme Jockey...
ou Du manège au champ de courses...

Mais, comment croyez-vous que ce projet se soit concrétisé en elle au fil du temps?
Par hasard, tout simplement, et vous savez tout comme moi que ce hasard fait parfois bien les choses.

Sur la fin de ses études, un sien cousin qui connaissait très bien les courses et y avait des relations, et qui était en plus, bien conscient des possibilités de Martine, lui glissa un jour à l'oreille, le mot magique et enchanteur de Jockey.

Ce mot l'effraya quelque peu au début, mais elle s'y fit petit à petit en pensant surtout à ce moyen qui allait lui ouvrir toute grande la possibilité de monter bien plus souvent en courses.

A ce moment, il lui arrivait aussi de monter en concours hippique et elle s'avouait en elle-même que c'était surtout deux mots qui la faisaient encore un peu hésiter: Courses et Professionnelle, car elle se rendait bien compte que malgré toutes ses années de monte en amateur, il lui restait encore un chemin à parcourir avant de connaître à fond les arcanes de la profession.

Pourtant, lorsqu'on a décidé de faire quelque chose, rien n'arrête les volontaires et petit à petit, elle se mit à fréquenter de plus en plus les écuries d'entrainement et des heures entières elle montait les chevaux de course qu'on voulait bien lui confier.

Tout de suite, et par la force des choses elle disputa de petites courses d'amateur, où elle se fit remarquer d'emblée, en remportant des victoires. Il n'y a rien de tel pour se faire connaître.

Naturellement pour elle, et comme pour tous ceux qui n'ont pas eu la chance de voir leur père naître avant eux, la question matérielle se posait; il fallait bien gagner sa vie.
Car, Martine ne parvenait pas encore à faire de sa passion naissante, un métier suffisamment rémunérateur et sa fierté l'empêchait de vivre aux dépens des autres.

Elle finit par décrocher une place à mi-temps dans un secrétariat médical, ce qui lui permit de passer le reste du temps libre à l'entrainement. Que voulez-vous qu'elle souhaîtat de mieux?

Ses qualités innées, son allure et sa position en selle, attirèrent tout naturellement sur elle les regards des professionnels, toujours à l'affut de talents nouveaux.
Et a vingt ans, ce fut Jean Follett, qui lui fit signer un engagement pour monter en courses de cavalières et courses d'amateurs.

C'était déjà pour elle, une fameuse promotion et le fait d'avoir été remarquée par une "compétence" la rendait particulièrement fière d'elle même.
Je crois qu'elle n'a jamais oublié ce grand professionnel qui lui mit le pied à l'étrier. Bon entraineur, très connu pour sa connaissance approfondie du cheval, sa rigueur et son amour du travail bien fait. Elle ne pouvait trouver mieux pour son initiation.

Avec son frère Lou Follett, ils formaient un couple de professionnels dont les conseils avisés ont laissé des traces parmi tous les jeunes qui sont passés par leurs mains.
Ce Lou Follett, jockey de valeur internationale, entraineur, et en réalité homme de confiance de la célèbre écurie de Madame France Decamps, qu'il accompagna d'ailleurs lors de son exode aux Etats Unis. Ce qui laissa dans le domaine des courses belges un vide qui n'a jamais été tout à fait comblé.

Le fait d'appartenir à un entrainement compétent, rigoureux quant aux méthodes de travail et une bonne obéissance aux ordres, vous met automatiquement dans l'ambiance; à condition que vous possédiez à fond l'art de vous plier à tout, sans jamais rechigner devant l'effort.

Bref, tout celà devait apparaître comme positif aux yeux de l'entraineur, car après un mois, il l'autorise à monter en course et celà commenca à Groenendael, dans un 1.600 m en ligne droite, où elle triompha superbement avec un cheval dénommé Mucio et appartenant a Ted Evans.
Cétait en 1965, et il doit être superflu de vous dire que cette première victoire, elle ne l'a pas oubliée.

En vieil amateur de courses, je me la représente bien dans le rond de présentation réservé au vainqueur, désellant son cheval et rentrant fièrement aux balances, la selle et la cravache sous le bras. Et je suis sûr de ne pas me tromper en vous disant que sa fierté du jour ne devait absolument rien à celle qui, et encore petite gamine à Duinbergen, douze ans auparavant, la faisait se hisser moralement et dan son esprit, à la hauteur de tous les géants d'un monde imaginaire. Bravo Martine !

Pendant des années, elle monta dans les courses d'amateurs avec tout le brio qu'on lui connait et il serait peut-être bien un peu fastidieux de reconstituer un palmarès pléthorique, dans le bon sens s'entend.
Et je pense que c'est bien inutile, car les événements se sont chargés du travail vis à vis des turfistes, qui n'ont jamais oublié cette talentueuse gamine.

La première année elle se distingua dans le Grand Prix des Dames à Ostende, où elle termina deuxième avec ce même Mucio appartenant à Ted Evans et qui lui avait procuré sa toute première vraie joie dans le domaine des courses.

Elle monta alors pour divers entraineurs et propriétaires qui se disputaient ses services dans les courses de cavalières et amateurs, où elle faisait pratiquement la loi.
Elle courut notamment pour Roger Hart, un autre très bon professionnel, mais je ne crois pas trop m'avancer en vous disant que sa belle victoire en 1976 à Ostende, dans le Derby des Dames, où elle montait le bon cheval Passe-Partout, ne fut pas pour beaucoup dans le déclic qui la décida à franchir le pas vers le professionnalisme.

Elle sollicite donc l'obtention d'une licence de Jockey Professionnel.
Et c'est ici et dès ce moment que débutèrent pour elle une foule d'ennuis, car et pendant trois ans, elle eut tout lieu de constater que cette lenteur administrative, qui colle si bien aux semelles des belges, n'était pas seulement une prérogative réservée aux organismes publics et officiels, mais que l'honorable Jockey Club ne leur devait absolument rien en cette matière.

Et en employant le mot "devait" c'est bien de circonstance, car si la pauvre Martine a dû s'échiner pour obtenir le Sésame, Ouvre-toi des courses, celles qui l'ont suivie ont bénéficié de beaucoup plus d'indulgence et de compréhension.
C'était probablement le premier pas qui était tellement difficile à franchir!!!

Toute imaginative qu'elle soit, je reprendrai à mon compte cette conclusion un peu satyrique d'un grand ami très bien introduit dans les hautes sphères du monde des courses et qui me disait un jour à Ostende: en Belgique actuellement, si une femme veut devenir jockey professionnel, il lui suffit de s'adresser au Jockey Club; de préférence sur carte postale, et la licence lui parviendra par retour de courrier.

Il est bien entendu que les plaisanteries les plus courtes, restent toujours les meilleures, mais celà fait mieux ressortir toutes les démarches que notre amie Martine dût se taper... démarches qui se virent automatiquement opposer une fin de non recevoir et sans justification cohérente de ces "Vieux Messieurs de la Fédération", comme le dit si bien ma toute petite fille Muriel, qui ne leur pardonnera jamais d'avoir refusé le joli nom de Débrouilles-toi, qu'elle avait donné à un jeune trotteur dont elle est la marraine.

Un non ferme de butés qui semblaient ignorer souverainement l'évolution des classes.
Mais que pouvait-on bien leur reprocher à une époque où déjà partout la femme se montrait l'égale de ceux qui croyaient encore à l'adage du sexe fort et qui défendaient encore pied à pied les derniers bastions de leurs principes idiots, et contre ce qu'ils considéraient encore comme l'invincible ascension des suffragettes suivant l'expression d'un temps révolu.

Oh! ce ne fut pas facile! Et pourtant même légalement, rien ne s'opposait à ce qu'une femme exerce ce métier, et je me demande bien ce qu'en aurait pensé La Ligue des Droits de l'Homme, cette bonne vieille organisation un peu poussièreuse, qui agit toujours avec lenteur, mais avec le plus parfait bon sens et en tout cas dans le respect des lois et des convenances.
Mais la réponse de cet organisme ne sera jamais connue, pour l'unique raison que la question ne lui sera jamais posée, car comme je vous l'ai narré plus avant, cette question est tombée dans le domaine de la banalité.

Et pour vous situer l'étroitesse de vues de ces dirigeants obstinés, qui se sont toujours retranchés derrière des arguments purement matériels, pour refuser cette licence, je ne puis résister au plaisir de mettre en exergue le comuniqué irrésistible de l'un d'entr'eux, qui alla jusqu'à invoquer le fait que dans les hippodromes, il n'existait pas de vestiaires pour les dames.
Vous pensez bien! Quelle atteinte à la morale!!! Si ce n'était vraiment comique, celà paraîtrait cruel dans un monde où la télévision de tout bord et de toute origine, bombarde de scènes ultralégères et qui s'orientent même et de plus en plus, vers la pornographie.
On est quand même plus au temps où les oeuvres célèbres d'un Emile Zola étaient mises à l'index!
Et c'est même une Martine épanouie qui nous conta un jour cette histoire courtelinesque, elle qui depuis plusieurs années s'habillait dans n'importe quelle petite chambre munie d'une porte.

Il est peut-être bien possible qu'ils ne se sentaient pas très fiers de cet état de choses et que celà dérangeait leur petit train train quotidien.
Et il me vient une idée lumineuse, qui n'a peut-être pas été envisagée, quoique je me refuse à croire que je sois le seul "Réformiste" en la matière. Puisque les femmes sont arrivées à mettre le pied à l'étrier, et le mot est bien de circonstance, pourquoi ne rencontre-t'on pas enore de femmes parmi les hauts fonctionnaires de la Fédération?
Celà pourrait probablement constituer un redoutable choc en retour dans certains organismes désuets, et celà ne choquerait certainement pas plus que ce procès qui se déroule actuellement à Bruxelles, et sur un sujet des plus scabreux, où le siège du Président, des deux Assesseurs et celui du Ministère public, sans compter l'un ou l'autre avocat, sont tous occupés par des femmes. Et celà à l'air de tourner assez rondement . Une belle leçon à en tirer. Et "Vive le Féminisme"!!!

Mais que voulez-vous? Il y a des tabous qui sont décidément bien durs à renverser, et dans ce contexte, Martine commençait sérieusement à désespérer, et si sa passion n'avit été aussi ancrée en elle, j'en connais beaucoup d'autres qui auraient abandonné purement et simplement, en jetant non leur bonnet par dessus bord, chevaux, hippodromes et tout ce qui s'y lie, et qui auraient repris leur petit train train de vie dans des domaines où l'on est plus accueillant et compréhensif vis à vis des membres du sexe dit Faible!

Mais pour qui connaît Martine, tenace, elle le fut jusqu'à l'obstination, elle continua à réclamer ce qu'elle croyait être son dû, en tentant de convaincre ces pauvres dirigeants qui sont peut-être bien mysogines et sans le savoir un peu comme Monsieur Jourdain lorqu'il écrivait sa prose.

Sa rage de courir et de vaincre, telle que je la connais, ne s'accorde aucun répit, et je dirai même que celà aidant, c'est une période où elle se montra vraiment irrésistible, montant des chevaux de toutes sortes suivant les circonstances.
Et c'est même au cours d'une de ces dangereuses courses d'obstacles qu'elle remporta avec Nantes et de la plus belle façon qui soit ! que le miracle se produit!

Après la course, elle reçut les félicitations de Monsieur le Comte du Monceau de Bergendael, un très grand dirigeant, et, elle en profita pour expliquer à ce vrai gentleman qu'elle était sa pauvre situation.
Il l'écouta avec beaucoup d'attention et lui promit fermement d'intervenir en sa faveur. Il faut croire que cette fois, elle avait frappé à la bonne porte, car pour débuter la saison 1980, elle la reçut enfin cette licence de Jockey Professionnel qu'elle avait tellement attendue.


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