Chapitre 2
Dans les coulisses d'un champ de courses

Un jour de l'été 1980, j'ai fait entrer pour la toute première fois la petite Fabienne, armée de son appareil photo dans les coulisses du Wellington cet admirable champ de courses d'Ostende, juste en face de la mer toute proche.

Il faisait assez beau ce jour là et ce qui l'a frappée en premier dès l'entrée, c'est le superbe cheval de bronze dont elle a voulu absolument prendre plusieurs photos.

Et tout naturellement il a fallu que je lui conte son histoire.
Il est le seul survivant du tout premier champ de courses d'Ostende, et s'il pouvait parler, il en aurait des choses à nous raconter. Je ne puis vous jurer que j'ai ce jour là relater à la petite la plus grande partie de ce qui va suivre, mais comme je pense que vous aussi vous vous intéresserez, je vous situe l'endroit ou la seule héroïne de cet ouvrage et que vous retrouverez par la suite a réalisé les exploits les plus marquants de sa vie de Jockey Professionnel.

Ce brave cheval de bronze superbe d'allure veille depuis toujours bien posé sur son piédestal, et sur le mur bordant le champ de courses, et les installations du Wellington et de la Route Royale face à la mer.

Il parait insensible à tout hennissements de ses collègues vivants, au son aigu de la cloche et aux bruits divers d'une foule trépidante qui encourage ses favoris.

Et Fabienne était un peu décue, car elle avait comme une impression de gosse qu'il ne l'avait même pas regardée, donnant même comme une illusion de ne pas aimer spécialement la photo.
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Comme je n'éprouve pas une intention toute particulière de m'apesantir sur le sort de ce célèbre fantôme, nous le laisserons à sa rêverie et je vous invite à pénétrer dans cet antre pasionnant et je vous assure bien que Fabienne elle, n'a pas attendu et qu'elle n'a pas assez de ses grands yeux, pour emmagasiner tout ce qu'elle voit et entend.

Et comme j'ai la réputation morale de sa sécurité, il faut que je la rejoigne, et que je vous conte par le détail l'histoire de ce bel hippodrome, dont l'agencement, le bel entretien et l'atmosphère fleurie, font la fierté de la Reine des Plages et de la gent hippique belge en général .
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En fait celà remonte à 1830, l'année de notre indépendance lorsqu'un anglais Marcus Verral pris l'initiative d'organiser les premières courses hippiques à Ostende.

En bon anglais dont l'amour des chevaux remonte à la nuit des temps, il était particulièrement obnubilé par le fait que ses compatriotes, qui déjà à cette époque, nourissaient un véritable engouement pour cette superbe plage et qui étaient fortement déçus de ne pas retrouver dans leur lieu de villégiature préféré tout ce qu'ils aimaient quand ils se retrouvaient de l'autre côté de la Manche.

Oh ! rassurez-vous on ne vit pas immédiatement fleurir cette superbe piste mais au contraire, et pendant plus d'un demi-siècle, les courses eurent pour cadre des plus modeste, la plaine sablonneuse entourant le vieux phare et dont les pècheurs et les marchands de poissons se sont emparés pour y établir leur quartier général.

Et si je puis me permettre une comparaison plus terre à terre, l'odeur du crottin s'est vue remplacée par celle des poissons et de la marée, sans que pour autant les bruits de foule et l'animation aient tout à fait disparu.

A cette époque héroïque, la piste n'était même pas délimitée et celà se disputait suivant un rite où chacun y apportait une grande bonne volonté, et tenez- vous bien, l'entrée y était également gratuite.

Je dois pourtant reconnaître de la façon la plus objective, que les prix d'entrée sur les hyppodromes belges, sont restés abordables et à la portée des petites bourses.

Certains endroits dont la pelouse à Ostende, y sont encore accessibles sans bourse délier. Il faut aussi reconnaître que pendant cette cinquantaine d'années, les courses qui se déroulèrent sur cette "piste" n'eurent jamais le brillant de celles d'aujourd'hui, mais je reste persuadé, qu'elles furent quand même fortement appréciées par les amateurs de l'époque.

Il fallut attendre 1880 pour qu'un changement radical s'opère dans l'organisation des courses à Ostende.

Un grand amateur devant l'Eternel, le Chevalier de Stuers, après de nombreuses et fastidieuses démarches, obtint enfin des pouvoirs publics, l'autorisation d'édifier un champ de coursesdans un endroit proche de la Ville.

La décision ne fût pas prise en une seule et unique réunion, car la Belgique de l'époque ne devait absolument rien à la gabegie et la lenteur administrative, dont nous sommes restés les champions toutes catégories.

Il y avait un superbe endroit, juste face à la mer et qui portait le nom fort évocateur de Fort Wellington, en souvenir du vainqueur de Napoléon à Waterloo, et dont, dans ce port de mer, ce grand marin, y avait tout naturellement laissé des réminiscences et un goût de victoire, ce qui cadrait assez bien avec l'idée elle-même.

Et comme la rumeur publique veut que trois belges qui se rencontrent, forment immédiatement une société, il ne fallut pas attendre longtemps, pour la constitution d'une Société des Courses.

Et qu'un bel hommage lui soit rendue, car c'est elle qui jeta les bases de toutes les organisations connexes, dont certaines existent encore de nos jours.

LEOPOLD II

Il y eut aussi un homme, qui de par sa volonté, son esprit de réalisation et son immense amour pour la Plage d'Ostende donna le coup de pouce nécessaire à toute évolution qui se veut en dehors du commun.

En 1902, notre Grand Roi Léopold II, grand amateur de chevaux lui aussi, voulut que le champ de courses de la Reine des Plages devint une vraie piste de Rois.

Il offrit de superbes tribunes métalliques, très spacieuses et ornées de grandes surfaces vitrées, ce qui pour l'époque relevait du sensationnel.

Et, le patronnage de ce grand Roi, admiré et critiqué tout à la fois fit plus pour l'hyppodrome d'Ostende que toutes les publicités les mieux agencées.
Grâce lui en soit rendue!

Pendant des années, ce fut le Succès, mais vint le désir de conquête du moustachu autrichien, qui nous voulait du bien magré nous.
Et, dans leur fureur, un peu belliqueuse mais tellement bien intentionnée, ceux qui voulurent nous en délivrer employèrent les grands moyens et des moyens qui laissèrent malheureusement des traces, et notre bel hyppodrome fut l'une des victimes les plus touchées,à la Côte, par les bombardements de 40 - 44. Hyppodrome d'Ostende

Il fallait tout recommencer, et ce n'était pas rien dans un pays saigné à blanc par les hostilités.
Il fallut attendre le 11 juillet 1947, pour que l'on pose enfin la première pierre du nouveau Wellington.

Il redevint vite un endroit plaisant et fonctionnel, tel qu'il l'est resté de nos jours.
On peut même avancer sans risque de se tromper, qu'il est un des mieus agencés et certainement le plus fleuri d'Europe.

De saison en saison, la grande foule et toutes les grandes écuries belges et étrangères contribuèrent à la renommée de ce bel hyppodrome, qui a cumulé la réussite et la beauté sous le signe impérissable du Roi Cheval.

D'ailleurs, in n'y a pas grand chose de changé et l'ambiance est restée la même sur les champs de courses.
Comme il fait beau et chaud, la foule bigarrée et colorée à souhait se presse aux grilles de l'entrée et déjà les gradins s'emplissent, toilettes claires et estivales, chapeaux et casquettes colorées, en un mot, ce qui depuis toujours contribue pour une bonne part à la coquetterie de tous les hyppodromes.

Dans la cour principale, de nombreux groupes se forment autour des marchands de journaux spécialisés et de certains personnages pittoresques, comme les vendeurs de tuyaux qui prétendent détenir des méthodes infaillibles pour faire toucher le gagnant, et le pire, c'est qu'ils sont encore nombreux ceux qui s'y laissent prendre.

Dans la grande salle, face aux guichets du P.M.U., les bookmakers, alignés comme à la parade, attirent particulièrement l'attention de la foule des parieurs, et cete race un peu spéciale, que l'on ne rencontre plus qu'en Grande-Bretagne ou en Belgique, si l'on exepte les éternels clandestins, m' a toujours un peu surpris et je n'ai jamais bien compris ce que veulent dire, tous ces signes mystérieux et cabalistiques avec de probables comparses qui se trouvent eux à la pelouse.

Décidément, les courses et leurs dérivés comportent toujours un certain mystère et c'est probablement celà qui fait tout leur attrait, la foule qui se croit évoluée, se complaisant volontiers dans des scènes d'un autre monde et dont les extra-terrestres et les OVNI sont la parfaite illustration.

Et dans cette foule qui s'agglutine à cet endroit bien précis, c'est aussi le lieu le plus propice à l'action des "tireurs" et des "pick-pockets", qui s'en donnent parfois à coeur joie malgré les nombreux avis à la prudence.

Pour tous ces enragés du jeu, l'attente constitue comme une éternité, et les paris enregistrés, et les favoris élus, ils n'attendent plus que le signal du départ qui sera pour eux comme une délivrance, prélude à la joie ou au désespoir... sentiments tout provisoires d'ailleurs, en attendant la course suivante.

C'est très curieux, comme,dans une telle ambiance, on comptabilise difficilement ses gains et ses pertes, et c'est seulement à la sortie que l'on réalise: on reviendra pour les chancards... plus jamais pour les moins bien lotis. Sans que celà ne perturbe les organisateurs, car il y a déjà bien longtemps qu'ils ont compris: serment de joueur... serment de... et j'espère que vous aussi vous avez compris!

pesée Au pesage, c'est un peu différent avec un monde plus calme et qui attend, comme avec un semblant de résignation, les chevaux conduits par des lads qui sont aussi fiers que ravis.
Les commentaires vont bon train dès leur arrivée et chacun suppute ses chances en touchant presque la réalité et les connaisseurs ou prétendus tels, donnent des avis à voix très haute, pour être bien entendus. Il doit y en avoir un bon nombre qui semblent fiers d'être si calés.

Il y a là beaucoup de superbes animaux qui agitent majestueusement leur crinière, enflant leurs naseaux en humant l'air ambiant, creusant le sable de leurs sabots et ne s'épouvantant pratiquement de rien et je crois même qu'intérieurement, ils se rient de la frayeur de certains.
Quels superbes animaux!

Et ce qui enthousiasme le plus Fabienne, c'est la finesse de leurs membres, qui les font ressembler à des gazelles. Et sur sa lancée, voilà qu'elle se retourne vers moi et me dit tout à la fois ravie et interdite:
tu sais Jujules (c'est de ce sympathique diminutif que d'habitude et sans me déplaire, mes deux petites filles m'interpellent) de toute la force de mes presque sept ans, je te remercie bien de m'avoir fait vivre celà et je reviendrai. Celà bien sur, ne supporte aucune contradiction, à cet âge, on a des accents de volonté très précoces.

La course se prépare du côté du Pavillon des balances; les jockeys sortent des vestiaires où ils ont revêtu leurs casaques multicolores, marque de ralliement de leur écurie respective.

A partir de cet instant précis, nul ne peut plus les approcher.
Cravache et selle sous le bras, ils se présentent pour la pesée, sous l'oeil très attentifs des commissaires qui assurent la police et la régularité des courses.
Oh! leur poids ne risque pas de faire sauter la balance et la grande aiguille se contente d'osciller entre 43 et 60 Kg, ce dernier chiffre étant même et le plus souvent très exceptionnel.

Jockeys et chevaux s'en vont alors ensemble vers le point de départ de la course où ils feront tout pour apporter la victoire à leur propriétaire ou entraineur, au public et surtout, un peu pour eux-mêmes, car on à beau être professionnel à part entière, on garde toujours quand même un peu d'amateurisme dans le coin de son coeur.

Mais tout à coup, en suivant des yeux les jockeys qui s'en vont et passent devant elle, Fabienne s'est étonnée comme si elle venait d'assister à une apparition étrange et surtout inattendue, et c'est elle, qui dans la joie de ses sept ans, va ouvrir le chapitre suivant...


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